Langue des Roms : Similarités et différences linguistiques à connaître

Les chiffres ne mentent pas : plus de 4 millions de locuteurs, une langue qui a traversé continents et siècles, et pourtant, le rromani continue de défier les idées reçues. Oubliez la carte postale folklorique qu’on agite parfois pour évoquer les Roms. Ici, il est question d’un héritage linguistique aussi mouvant que fascinant, tissé d’influences et d’évolutions, capable de raconter toute une histoire migratoire à travers ses mots.

Aux origines du rromani : un voyage linguistique entre Inde et Europe

Derrière la langue des Roms, on découvre le récit d’un peuple qui, depuis le nord-ouest du sous-continent indien, a tracé une route unique dans le paysage des langues indo-aryennes. Les racines du rromani plongent dans ce terreau ancien, où le sanskrit, le hindi ou encore le rajasthani partagent avec lui des pans entiers de vocabulaire. Un exemple ? Le mot « phral » (frère), qui fait écho au « bhai » hindi ou au sanskrit « bhrātar ».

À force d’errances et de sédentarisation, le rromani s’est nourri de toutes les langues croisées sur son chemin. En passant par l’Asie mineure, puis à travers les Balkans pour atteindre la Roumanie, la Bulgarie, la Russie et au-delà, il s’est imprégné de grec, de bulgare, de roumain, parfois même de hongrois. Chaque étape a laissé son empreinte, enrichissant ce patrimoine oral et écrit.

Aujourd’hui, le rromani ressemble à un carnet de voyage linguistique, où se mêlent vestiges indiens et apports balkaniques. Sa phonologie porte la trace de ces rencontres, tout comme ses formes grammaticales, héritées du vaste domaine des langues indo-iraniennes. Parcourir l’histoire de cette langue indo-européenne, c’est suivre le fil rouge des migrations entre l’Inde et l’Europe, et mesurer la force d’adaptation d’une communauté qui a fait de la langue un outil de résistance et de transmission.

Qu’est-ce qui rend la grammaire du rromani unique ?

La grammaire du rromani ne ressemble à aucune autre. Elle repose sur un système de déclinaisons hérité de ses origines indo-aryennes, auquel se sont ajoutées des tournures venues du grec et des langues slaves.

Côté verbes, la conjugaison se révèle d’une richesse rare : la personne, le temps, l’aspect, tout y est marqué, dans une mécanique qui rappelle à la fois le sanskrit, le bulgare et le grec. Quant au groupe nominal, il s’organise autour du genre (masculin, féminin) et du nombre (singulier, pluriel), chaque nom changeant de forme selon son rôle.

L’un des traits les plus frappants réside dans l’emploi des pronoms personnels. Le rromani distingue, comme certaines langues slaves, le sujet et l’oblique : à la première personne du singulier, par exemple, la forme « me » désigne le sujet, tandis que « man » s’emploie pour l’oblique. Cette subtilité, héritée de la tradition indo-iranienne, donne à la langue une souplesse particulière.

On retrouve aussi des archaïsmes dans la conjugaison, comme l’usage d’un ancien comparatif synthétique pour exprimer la comparaison, clin d’œil à ce qui se pratiquait dans le grec ancien. L’ensemble forme un système grammatical qui épouse les influences sans perdre de vue ses propres lignes de force, preuve de la vitalité du rromani face aux multiples langues rencontrées sur sa route européenne.

La diversité des dialectes : entre unité et richesse culturelle

Oublier l’idée d’une langue unique serait une erreur. Le rromani est un ensemble foisonnant de variétés dialectales, reflet de l’histoire plurielle des communautés roms. À chaque région sa couleur, son accent, ses emprunts.

D’un bout à l’autre de l’Europe, des Balkans à l’Europe centrale, la langue s’est adaptée, absorbant les sons et les mots du bulgare, du macédonien, des langues romanes ou slaves. Cette adaptation se lit sur la carte dialectale du rromani : les dialectes balkaniques reprennent certaines constructions du bulgare ; en Roumanie, le rromani s’enrichit de mots roumains ; en Espagne et en Grande-Bretagne, le caló et l’angloromani sont la preuve vivante de la perméabilité linguistique, la grammaire rromani disparaissant peu à peu au profit du vocabulaire intégré à la langue dominante.

Voici quelques groupes dialectaux qui illustrent cette diversité :

  • kalderash (présent en Europe centrale et en France)
  • sinté et manouche (répandus en Allemagne et en France)
  • vlax (ancré en Roumanie et dans les Balkans)

Dans certains groupes, l’intégration lexicalisée va jusqu’à incorporer des mots d’argot français ou d’argot anglais, signe d’une créativité linguistique permanente. Pour les gitans ou manouches, la langue devient à la fois marqueur identitaire et rempart contre l’uniformisation culturelle.

Alors, certes, les dialectes coexistent, parfois rivalisent, mais ce foisonnement ne remet pas en cause la conscience d’appartenir à un même ensemble linguistique.

Découvrir et apprendre le rromani aujourd’hui : ressources et initiatives

Aujourd’hui, la langue rromani tente de s’ouvrir au-delà du cercle familial. Plusieurs acteurs s’engagent pour qu’elle soit transmise et valorisée. Depuis les années 1970, la Union romani internationale (URI) pilote des projets pour préserver, enseigner et diffuser cette langue.

Le linguiste Marcel Courthiade a proposé une orthographe unifiée, désormais adoptée dans de nombreux manuels et publications. Ce travail de normalisation, longtemps débattu, rend aujourd’hui possible la création de ressources accessibles à tous.

En France, quelques universités proposent des enseignements sur la langue des Roms ou sur les langues indo-aryennes. Certaines associations, issues de la société civile romani, organisent ateliers, stages et rencontres pour faire vivre la langue.

L’ère du numérique change la donne : lexiques en ligne, plateformes collaboratives, podcasts, vidéos YouTube… La langue rromani sort de la marginalité et trouve de nouveaux relais pour se transmettre.

Dans certains pays comme la République tchèque, la Roumanie ou la Bulgarie, des écoles intègrent le rromani à leur parcours, parfois en option. Ces avancées restent fragiles, dépendantes des politiques nationales et du regard porté sur la minorité rom.

Mais chaque initiative qui promeut le rromani contribue à sa reconnaissance et encourage de nouveaux locuteurs à s’approprier cette langue multiple. Parmi les ressources disponibles, on trouve :

  • Cours et ateliers associatifs en France et en Europe centrale
  • Supports pédagogiques normalisés issus du travail de Marcel Courthiade
  • Ressources numériques variées : dictionnaires, vidéos, podcasts
  • Expériences scolaires menées en République tchèque et dans les Balkans

Apprendre le rromani aujourd’hui, c’est renouer avec une histoire, une culture, une identité en mouvement. Pour chaque nouveau mot transmis, c’est un pan de mémoire qui se réveille, une promesse de continuité dans le grand livre des langues vivantes.

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